jeudi 7 août 2014

Ian contre l'État Brésilien, le retour

Hier je voulais en fait écrire cet article, mais mes péripéties électriques m'en ont empêché. Qu'importe, oyez oyez l'épopée du CNH.

Le vendredi 13 décembre 2013 à 16h01, j'ai initié les démarches pour obtenir le permis de conduire au Brésil.

Légalement le permis français est valide 6 mois, après ça le conducteur gringo qui n'a pas son CNH (Carteira Nacional de Habilitação) se fait saisir son véhicule en cas de contrôle routier. Étant donné que c'est déjà arrivé à un collègue et que je conduis au Brésil depuis août 2013, je me suis dis qu'il serait intéressant de me bouger, et c'est tellement marrant de lutter contre l'administration.

Obtenir son CNH c'est en fait très facile :
- Fournir son RNE (carte d'identité d'étranger), une attestation de domicile de moins de 2 mois, une traduction assermentée de son permis de conduire, une attestation de paiement de la taxe du consulat qui confirme que tout est en règle.
- aller au ministère des transports (le DETRAN) pour enregistrer son dossier et ses empreintes
- réussir à passer les redoutables examens médicaux et psychotechniques.

Cerise sur le gâteau, apparemment les étrangers sont obligés de se faire accompagner par un despachante. Le despachante est un métier tout à fait courant et officiel au Brésil qui consiste à faciliter les démarches administratives. Planifier les rendez vous, faire des sourires, serrer des mains. Mais de façon officielle, parce que c'est un travail de professionel.

Donc dans mon cas, je dois tout fournir à mon service juridique, qui à son tour planifie les actions avec le despachante, qui planifie avec l'administration.

Comme ça on gagne en rapidité, en agilité, en efficacité.

J'ai donc démarré le 13/12/2013 les démarches. En avril 2014 on me demande de fournir les dernières pièces pour avancer dans la planification des rendez vous. Le 25/07/2014, donc après + de 7 mois, je suis contacté pour le despachante pour aller au DETRAN. Efficacité, rapidité, plaisir.

Et c'est maintenant que ça s'envole.

J'arrive avec 1h d'avance, sans aucun soucis. J'appelle mon despachante pour savoir si tout est toujours OK pour lui. Pas de réponse. Messagerie. Ça sent pas bon. Je tente, je tente... Rien.

Juste avant le rendez vous, le chef du despachante m'appelle : le gars est malade il ne viendra pas. Je m'étais mangé 1h de transport et 1h d'attente. ... Mais je vais être pris en charge par un autre gars, déjà sur site, qui va m'appeler. 15 minutes + tard il m'appelle : c'était le gars juste à côté de moi dans la salle d'attente, qui glandait paisiblement sur son téléphone pendait que je dévorais un roman sur mon kobo. ... ... ...

Première étape : vérifier une dixième fois les pièces de mon dossier. Il faudrait être un gros con pour se planter là. Je suis un gros con. L'attestation de domicile est périmée, elle est trop vieille vu qu'on a commencé la démarche il y a plusieurs mois. Mais je suis un mec prévoyant, j'en ai pris une de ce mois-ci. Le despachante regarde, est gêné, me demande si j'en ai une autre. Je vérifie : j'ai pris une facture d'électricité... qui n'est pas à mon nom. ... ... ...

Le gars me dit qu'on va quand même tenter.

1ere étape au DETRAN : le despachante fait la queue pour donner mon dossier à un guichet chargé de valider que le dossier peut être traité. Ça dure un peu ... Et c'est validé malgré tout, sans sourciller. Sauvé !

2nde étape du DETRAN : je fais la queue pour aller à un guichet où on saisit mes coordonnées dans le système. En sachant que j'avais déjà du faire tout ça pour avoir mes papiers d'identité. Pas grave. Heureusement que je vérifie avant de partir parce que la saisie était pleine de fautes (sur le nom, prénom, date de naissance, d'obtention du permis français, etc etc).

3eme étape du DETRAN : refaire encore la queue pour enregistrer ses empreintes digitales. Ce que j'avais aussi déjà fait pour mes papiers d'identité. Au Brésil on adore stocker les empreintes digitales.

Les 3 étapes se font dans la même salle, les guichets sont voisins de quelques mètres. Au lieu de tout faire d'un coup, ça doit sûrement créer de l'emploi de faire ça.

Étape suivante : prouver qu'on est quelqu'un de fort, dans son corps et son esprit, en allant voir le médecin et le psychologue. Là ça franchit 10 crans dans l'absurde.

Après 30 minutes de trajet, on arrive à la clinique. Oui, parce qu'ils n'ont pas mis la clinique dans les locaux du DETRAN ou à proximité. Une fois là bas, première épreuve, le questionnaire. Prenez vous des drogues dures, avez vous été déjà condamné pour des actes violents, êtes vous un fou furieux reconnu, blablabla, la routine. J'ai répondu non à tout bien sûr.

Là je me dis que le seul truc possible en test médical doit être un test de vue. Le panneau avec les lettres (des lignes de 5 lettres...) est derrière moi et je suis seul dans la salle. Comme mon oeil droit n'est pas à 10/10 je vais voir le panneau pour éviter un piège du type "c'est un H ou un K" ou un "P ou un F". Maintenant c'est bon, le médecin je l'attends, je suis chaud je peux réciter le panneau les yeux fermés.

L'Épreuve du Médecin :
1. je prends votre tension
2. veuillez serrer cette pince. Oui c'est pour tester votre force, et y a des capteurs super mystiques dedans. Le gars m'applaudit presque en pleurant, "magnifique très bien super". Mec, si tu veux tester ma force, je suis chaud pour un bras de fer (toujours défier les personnes âgées au bras de fer pour s'auto prouver sa virilité). Je ne vois pas ce que ça prouve par rapport à la conduite mais t'inquiète, on peut aussi jouer à celui qui court le plus vite ou celui qui a la plus longue.
3. Les couleurs. Il allume 2 grosses lumières, et au lieu de me demander les couleurs il me dit "alors là y en a une rouge et une...". VERTE ! Merci Doc d'avoir répondu à 50% du test, si j'avais pas répondu assez vite il aurait peut être dit les 2 lui même. Il me félicite encore chaleureusement pour ma perception aigüe de mon environnement.
4. Les lettres. Il n'allume pas les petites lettres mais les moyennes, celles que même un aveugle pourrait lire. "Vous lisez quoi ?". "A, " TRES BIEN FANTASTIQUE ! ... Ah ok, il fallait juste lire la première lettre de la ligne. Sinon on pouvait aussi se serrer la main sans rien faire et en rester là.

Puis vient...
L'Épreuve Psychotechnique.
Je la passe en même temps qu'un couple de mexicains. On est dans une salle avec une psychologue qui a l'air soit dépressive au bout du rouleau, soit morte d'ennuie, donc potentiellement les deux.

1. Tu as une feuille. Il y a 3 symboles (carré, rond...), un symbole = 1 numéro. En dessous tu as un tableau rempli avec ces symboles en ordre aléatoire, tu dois écrire en face de chaque symbole le numéro. Tu as 2 minutes, tu dois les faire dans l'ordre. Il doit être physiquement impossible de remplir le tableau (ou alors je suis vraiment trop con), du coup ils cherchent à voir si tu ne fais pas n'importe quoi sous la "pression". Lol... J'arrive à survivre au stress intense, sans faire mon Thiago Silva avant sa séance de penalty. Je me sens un Hercules des temps modernes.

2. Un autre feuille. Des triangles avec un numéro, disséminé sur la feuille A4. Tu dois les barrer dans l'ordre. 1, 2, 3, 4... Tu as 3 minutes. Pareil qu'avant, le but est certainement de voir si tu n'es pas complètement couillon, et si tu ne te mets pas à faire n'importe quoi.

3. Encore plus fort. Une nouvelle feuille. L'heure de vérité. Le test de tous les tests. La feuille est vierge. Tu dois faire des petits bâtons, de même taille, côte à côte, parallèlement, pendant 5 minutes. Toutes les minutes, la psychologue dit "SIGNAL". Là il faut faire un bâton horizontal, et reprendre les bâtons verticaux. 5 minutes de bâtonage. Je commence à me demander à quel moment on va nous donner une pelle et un seau, ou des chaises en rotin à retaper.

Ah non ... Fini !

Ou presque. Attente. De nouveau. Convocation dans le bureau de la psychologue. Ça y est elle a vu que j'étais pas sain d'esprit, mais on ne m'aura pas vivant. Long silence pendant qu'elle regarde les tests - certainement en pensant à ce qu'elle va manger le midi ou à la novela d'hier soir. "C'est bon".

C'est tout ?

Le despachante me dit qu'il reste une dernière étape. Le médecin veut me parler.

Oula merde, va-t-il me lancer le défi de celui qui fait le plus de pompes, ou autre épreuve tout aussi nécessaire pour avoir un permis de conduire ?

J'attends... Puis je peux le voir.

"vous avez déjà conduit à São Paulo ?" => moi : "euh oui un petit peu"
"ah. Parce que conduire à São Paulo ... ... ... C'est dangereux. ... .... .... Bonne journée, vous avez le permis, au revoir".

Je sers la main du despachante, qui n'aura donc RIEN fait de sa matinée (oui j'ai commencé le périple à 7h du mat et fini à 13h) à part jouer sur son téléphone en attendant que ça passe.

5 jours + tard - hier - le courrier arrive sans aucun problème, j'ai mon permis, il n'y a aucune faute dessus, mission accomplie !!


Bientôt je compte repousser la limite, dans une nouvelle aventure qui s'annonce + grandiose !

mercredi 6 août 2014

Ian contre l'Etat Brésilien, épisode 1

Suite à mon post facebook où je râlais sur les taxes à foison du Brésil, j'ai eu une surprise sympa aujourd'hui.

Je rentrais tôt chez moi (17h, youhou) pour cause de rodizio municipal, après une petite journée de 10h de boulot (ben oui, rodizio donc je suis arrivé au taff avant 7h ce matin).

Une fois dans l'ascenseur de mon immeuble, le porteiro (le gardien / sécurité / concierge / McGyver) me contacte à l'interphone pour me dire qu'un courrier est arrivé à l'accueil.

Chouette, j'attendais justement un truc ! Toujours d'humeur radieuse je vais le voir avec un grand sourire, lui il était un peu moins souriant. Oui parce qu'il y avait 2 courriers : celui que j'attendais (youpi) et une petite feuille. Que je lis distraitement. Puis je la relis un peu moins distraitement. Puis très concentré. Puis concentré et en Colère.

"coucou c'est l'équivalent local d'EDF, on a décidé de te couper l'électricité, si t'as besoin de rien hésite pas, mais si tu veux qu'on te le rétablisse va sur internet pour payer".

Lol.

Je demande au porteiro s'il connait une combine pour vaincre l'administration locale, parce que je m'attends déjà à un combat du genre "gamin de 8 ans sous nourri Vs Mike Tyson". Avec moi dans le rôle du gamin.

On y regarde. Les agences ferment à 16h30, il est 17h. Je ne pourrais pas plaider ma cause en face à face. Mes chances de succès deviennent soudainement très faible, je passe dans le rôle du gamin de 8 ans sous nourri aveugle sourd et muet.

Pas grave il y a un numéro de téléphone sur l'avis de coupure. Maintenant il faut faire comprendre que le nom et les références (le fameux numéro fiscal CPF qui définit qui tu es) sur les factures et l'avis ne sont pas les miennes, mais celles d'un gars qui habitait là il y a 5 ans et dont les locataires suivants se transmettent les références.

OK, je suis désormais un gamin de 8 ans sous nourri aveugle sourd et muet cul de jatte et manchot dans le combat qui s'annonce.

Donc soit je vis sans électricité soit je me bat comme un Homme. Vu que j'ai déjà pas le gaz, si en plus j'ai pas l'électricité c'est un peu compliqué. Va pour le combat.

J'appelle la hotline, la voix robotisée me traîne longuement de menu en menu mais elle parle clairement et l'orientation est facile. Oui je veux réactiver le courant. Oui, d'urgence. Bla, bla, bla. D'un seul coup : "merci d'avoir choisie cette option. Un technicien passera vous voir d'ici 4h, vous devrez lui montrer une preuve du paiement, sinon ça sera 15 euros et rien ne sera fait. Au revoir ! (à + dans l'bus)".

... ... ...
J'appelais pour payer...
...

Là je suis mal engagé. J'ai pas de courant. Je n'ai aucune référence pour payer, il n'y a rien sur l'avis de coupure. Les agences sont fermées, l'automate téléphonique m'a entubé, un gars va se déplacer, voir que je n'ai pas payé, ne va rien faire à part rigoler et me facturer. Oups.

Je rappelle l'automate, c'est un duel entre Ian et un automate lusophone bureaucratique, je ne peux que gagner.

Finalement, après un looooong silence, l'automate finit par révéler. ".......... et vraiment si tu as attendu jusqu'ici sans raccrocher, appuie sur la touche 9 pour parler à un conseiller humain potentiellement sous payé, pas bien motivé et qui risque de bien galérer pour que tu lui expliques avec ton accent pourri que tu n'es pas qui tu dis que tu es".

Qu'importe, faisons contre mauvaise fortune bon coeur et allons y. 9.

Là c'est le choc, boum dans les 2 secondes mon appel est pris en compte et j'ai quelqu'un au bout du fil. J'explique ... tout se passe à merveille. Jusqu'à l'étape honnie et redoutée : "dictez moi votre email pour que je vous envoie les coordonnées pour payer sur internet" (le boleto). FRASER en portugais : F=effé, R=airi, S=essé. Ce qui est parfois compris comme : FERIASERI.

Je dicte... elle comprend du premier coup. Je demande à ce qu'elle répète : parfait. C'est mon email. Hop c'est envoyé, vous allez recevoir le boleto dans quelques minutes, vous devez payer sur internet et montrer la preuve à l'agent qui passera d'ici ce soir à votre domicile pour rétablir le courant. Je demande quand même si on peut annuler le passage de l'agent, pour que je paye d'abord et qu'ensuite je réactive son passage, "au cas où". Ah non c'est pas possible monsieur. Quand on lui demande de passer, il passe. Point.

Je ferais avec, mais ça s'annonce malgré tout plutôt pas mal.

...
Et je ne reçois aucun email. Rien n'arrive. Même pas dans les spams. ça fait 1h maintenant, et toujours rien. La facture n'arrive pas, je dois toujours payer, je ne sais pas quoi ni comment tant que je n'ai pas le mail.

Sauf que... le wifi se connecte sur mon téléphone. What the fuck ? Je regarde : ma box internet est de nouveau allumé. Mon frigo aussi. La lumière refonctionne. Le courant est revenu alors que je n'ai rien fait ... ok ...

Je me démerde pour trouver comment payer sur le site de l'entreprise et avec divers papiers que je déterre dans mes afaires. Je me dépêche de payer en ligne, j'ai ma preuve de paiement, tout est désormais ok mais... ça ne devrait pas.

Je suis donc potentiellement en sursis alors que j'écris cet article. Les administrations, dans le monde entier, c'est vraiment la grande aventure.